Tsalktubo : La ville des sanatoriums oubliés

Un héritage soviétique entre splendeur passée et réalités contemporaines, 

Géorgie, 2023.

Dans le cœur verdoyant de la Géorgie, à quelques kilomètres de la ville de Koutaïssi, se niche Tsalktubo, une petite localité qui fut autrefois un joyau de l’URSS. Réputée pour ses eaux minérales curatives, cette ville fut, au milieu du XXe siècle, un haut lieu de villégiature pour les citoyens soviétiques. Mais aujourd’hui, les majestueux sanatoriums qui s’élevaient comme des temples de la santé et du bien-être ne sont plus que des vestiges à l’abandon, oscillant entre réhabilitation, décrépitude et occupation par des réfugiés. Retour sur l’histoire fascinante et contrastée de Tsalktubo.

L’âge d’or de Tsalktubo : les sanatoriums et l’ambition soviétique

L’histoire de Tsalktubo prend son essor dans les années 1920-1950, alors que l’Union soviétique érigeait des sanatoriums dans le cadre de sa politique de santé publique. Tsalktubo était particulièrement prisée pour ses sources d’eau thermale, riches en minéraux et réputées pour soigner des affections variées, allant des maladies cardiovasculaires aux troubles articulaires. Ces eaux, jaillissant à une température constante de 33-35 °C, devinrent rapidement une attraction incontournable pour les classes moyennes et supérieures soviétiques.

Sous l’impulsion de Staline, qui lui-même fréquentait les bains de Tsalktubo, la ville devint un symbole de l’idéal soviétique. Elle combinait santé, loisir et propagande. Les sanatoriums, souvent conçus dans un style architectural monumental mêlant néoclassicisme et art déco, incarnaient l’excellence de la planification urbaine soviétique. Les bâtiments étaient dotés de colonnes imposantes, de halls luxueux et de jardins soigneusement aménagés, reflétant la grandeur de l’État. À leur apogée, la ville accueillait des milliers de visiteurs chaque année, venus des quatre coins de l’Union.

L’âge d’or de Tsalktubo ne se limite pas seulement à ses somptueux sanatoriums, mais inclut également des résidences prestigieuses, comme le manoir personnel de Staline. La résidence, était même dotée de sa propre salle de bain thermale. Ce lieu illustre l’attention particulière que portait Staline à Tsalktubo, promue comme une station thermale modèle, incarnant à la fois le bien-être accessible à l’élite et l’ambition d’un État qui cherchait à démontrer sa grandeur à travers ses infrastructures.

La chute des sanatoriums

Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, Tsalktubo connut un déclin brutal. La disparition des subventions et la crise économique plongèrent les sanatoriums dans l’oubli. Les visiteurs, autrefois nombreux, désertèrent les lieux, laissant derrière eux des bâtiments qui commencèrent à se délabrer.

Aujourd’hui, ces majestueuses structures, recouvertes de végétation et marquées par le passage du temps, offrent un spectacle à la fois mélancolique et captivant. Certaines ont été partiellement restaurées dans le but d’attirer de nouveau des touristes, notamment des amateurs de bains thermaux et des curieux fascinés par l’histoire soviétique. D’autres, en revanche, sont en ruines, promises à une disparition lente.

Aujourd’hui, parmi ces bâtiments abandonnés, plusieurs sont occupés par des réfugiés. Depuis les années 1990, des centaines de familles déplacées par les conflits en Abkhazie notamment, se sont installées dans ces anciennes demeures de luxe. Ces bâtiments, jadis destinés au bien-être de l’élite soviétique, abritent désormais des populations en quête de stabilité. Cependant, les conditions de vie y sont souvent précaires, avec des infrastructures vétustes et un accès limité aux services de base.

Nous nous sommes approchés de certains de ces bâtiments occupés, mais ne connaissant pas la situation réelle sur place et n’ayant pas pris le soin de nous renseigner au préalable, nous avons préféré ne déranger les habitants. Notre intention était d’éviter tout malentendu ou problème. Pour ces raisons, nous n’avons pas pris de photos de ces lieux spécifiques, bien qu’il soit possible d’en trouver sur Internet. Malgré cela, il était impossible de ne pas remarquer la situation très précaire des habitants. Ils vivent dans des conditions rudimentaires, au cœur de ce qui pourrait être décrit comme des « mines d’or », ces anciens lieux de grand luxe aujourd’hui délabrés, mais encore empreints de leur splendeur passée.

Je n’ai donc malheureusement pas de visuels à apporter pour illustrer cette description. Cependant, avec le recul et une vision désormais plus tournée vers un travail de reportage, je réalise l’importance de dépasser certaines limites pour capturer la réalité de telles situations. Si cette expérience date de 2023, elle m’incite aujourd’hui à prendre plus de risques, et aller à la rencontre des populations locals, afin de fournir des images plus parlantes et immersives, mais aussi des témoignages. Ce qui n’était pas encore le cas à l’époque.

Entre passé et avenir : un dilemme pour Tsalktubo

La question de l’avenir des sanatoriums divise. Si certaines initiatives locales et internationales visent à restaurer ces lieux pour en faire des destinations touristiques et des centres de bien-être, d’autres bâtiments semblent condamnés à l’abandon. En outre, les besoins des réfugiés posent des défis sociaux et humanitaires qui nécessitent une attention prioritaire.

Tsalktubo, avec son patrimoine architectural unique et son histoire complexe, incarne à la fois les rêves grandioses et les fractures de l’ère soviétique. Entre ses eaux thermales encore vivantes et ses bâtiments à moitié effacés par le temps, la ville reste un témoignage poignant de l’histoire récente, une invitation à réfléchir sur le rapport entre passé et présent.

Cela me rappelle une autre exploration à l’échelle comparable, bien que tout à fait différente : celle du cosmodrome de Baïkonour. Ce site, autrefois au cœur des ambitions spatiales soviétiques, incarne lui aussi les aspirations démesurées d’une époque riche et ambitieuse. Aujourd’hui, il est le reflet d’un rêve qui s’est en grande partie effondré, laissant derrière lui des infrastructures monumentales, mais largement abandonnées. Ces lieux, qu’il s’agisse de sanatoriums ou de bases spatiales, portent les stigmates d’un passé à la fois glorieux et brisé, témoignant d’une époque qui rêvait de grandeur sans toujours prévoir sa pérennité.


Pour les amateurs d’histoire, d’architecture et d’aventure, Tsalktubo est une destination fascinante. Ses sanatoriums rappellent non seulement la grandeur et la démesure de l’Union soviétique, mais aussi la résilience d’une région qui continue de s’adapter aux défis du présent. Alors que certains bâtiments renaissent pour accueillir de nouveaux visiteurs, d’autres s’effacent doucement, laissant derrière eux les échos d’une époque révolue.

En fin de compte, Tsalktubo reste une ville à mi-chemin entre la mémoire et l’avenir, un lieu où le temps semble suspendu, invitant les visiteurs à explorer ses strates d’histoire et à imaginer ce qu’elle pourrait devenir.