L’Observatoire Radio-Optique ROT-54
Armenie, 2023

Dans les secrets du ROT-54 : Une exploration autorisée d’un monument scientifique oublié
En 2023, après de longs mois d’attente et de démarches administratives, nous avons enfin obtenu l’autorisation officielle de visiter un site emblématique de l’histoire scientifique arménienne : l’Observatoire Radio-Optique ROT-54. Cette structure fascinante, nichée sur les hauteurs d’Orgov, à proximité du mont Aragats, est un témoignage unique de l’ingéniosité humaine.
Conçu par le physicien et ingénieur Paris Herouni, le ROT-54 est un télescope radio-optique d’une complexité remarquable, mis en service en 1986 après plus de dix ans de construction. Ce projet ambitieux, démarré en 1975, visait à doter l’Union soviétique d’un outil capable d’étudier les phénomènes astronomiques dans le spectre radio et optique.
Le cœur du ROT-54 repose sur un miroir hémisphérique fixe de 54 mètres de diamètre, constitué de milliers de panneaux métalliques finement polis. Ce chef-d’œuvre d’ingénierie offrait une capacité d’observation d’une précision rare. À l’époque, il figurait parmi les installations scientifiques les plus avancées au monde.
Malgré son potentiel, l’exploitation de l’observatoire fut brève. Entre 1986 et 1990, le ROT-54 a permis des observations significatives, notamment l’explosion d’une géante rouge dans la constellation des Gémeaux. Cependant, le contexte économique et politique tumultueux de l’après-URSS a précipité son déclin.
Des tentatives de modernisation ont eu lieu dans les années 1990 et 2000, mais elles se sont heurtées à des difficultés techniques et financières. En 2012, une panne du système de contrôle a mis un terme définitif à ses activités. Aujourd’hui, bien que l’observatoire soit classé monument historique en Arménie, il reste en sommeil, en attente d’une éventuelle restauration.
Une exploration unique
Cette visite fut une immersion dans un monde suspendu dans le temps. Dès notre arrivée, la silhouette massive des différentes antennes ne nous laissent pas indifférent, nous sommes impressionnés. La parabole principale, avec son gigantesque miroir hémisphérique demeure un spectacle saisissant, témoignant de l’envergure du projet.
À l’intérieur, une atmosphère de désuétude s’installe immédiatement. Les vestiges de l’équipement scientifique, datant d’une autre époque, semblent figés dans une lente dégradation. Les panneaux de commande, autrefois modernes et sophistiqués, sont aujourd’hui recouverts d’un dépôt jaunâtre. Un jaune spécifique, mélange de l’usure du temps et, sans doute, des années d’usage dans une époque où le tabac était omniprésent. Cette patine singulière, qui s’accroche aux claviers des ordinateurs et aux boutons des commandes, m’évoque le poids des heures de travail passées dans cet endroit.
Certains écrans, devenus opaques, semblent encore porter les traces de doigts de leurs opérateurs, comme si ces derniers avaient quitté précipitamment leurs postes. Les murs, ornés de tableaux techniques et d’inscriptions en cyrillique, respirent l’histoire d’une quête scientifique ambitieuse, aujourd’hui reléguée aux souvenirs.
Le ROT-54 est plus qu’un simple vestige. Il incarne une époque où la quête de savoir guidait des projets d’envergure internationale. Pourtant, sa réhabilitation nécessiterait un investissement colossal, estimé à 25 millions de dollars, pour lui permettre de rejoindre le Réseau Européen de VLBI (Very Long Baseline Interferometry).
Pour l’instant, le site attire les passionnés d’histoire et les amateurs d’architecture scientifique. Mais son avenir demeure incertain. Le ROT-54 pourrait-il un jour renaître et redevenir un acteur de l’astronomie moderne ? C’est une question que l’Arménie et la communauté scientifique internationale devront résoudre.
Cette visite, riche en émotions et en découvertes, m’a rappelé à quel point le patrimoine scientifique est fragile. Le ROT-54, malgré son état actuel, reste une merveille d’ingénierie et un symbole de l’ambition humaine. Je quitte cet observatoire avec un profond respect pour ceux qui l’ont conçu et l’espoir qu’il puisse un jour reprendre vie, éclairant à nouveau les mystères de l’univers.